Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
11 Mai 2025
Pour sa première visite officielle en Europe depuis son investiture, le président Donald Trump n’aura passé que quatorze heures à Rome, à l’occasion des funérailles du pape François. Quelques poignées de mains rapides aux dignitaires assis près de lui, et Trump est reparti dare-dare vers son avion, pressé d’arriver, selon son entourage, l’après-midi même sur son golfe du New Jersey, un rituel sacré auquel le président consacre tous ses week-ends…
Ni droits de douane, donc, ni OTAN, ni Gaza, ni Iran : aucun sujet n’aura été, ne serait-ce qu’effleuré, au cours de ce passage éclair.
Aucun sujet, sauf les quinze minutes accordées à Zelensky dans la basilique même, juste avant la cérémonie, images qui ont fait le tour du monde… Emmanuel Macron a bien tenté de s’inviter, mais la troisième chaise, un instant avancée par l’un des monsignori, a vite été retirée et replacée contre un mur, après que Trump eut écarté l’importun d’un geste de la main. Une experte de la lecture du mouvement des lèvres, travaillant pour The Sun de Londres, a décodé ainsi le propos de Trump à son homologue français : « Vous n’êtes pas à votre place ici. J’aimerais que vous me fassiez une faveur. Vous ne devriez pas être ici. » Et Zelensky d’abonder : « J’aimerais que vous fassiez cela, mais pas comme ça. » Une fake news, selon l’Élysée…
Pas de place, en tous cas, pour deux Narcisses dans la basilique. Trump, qui se voit en roi du monde, ne saurait partager son rôle de faiseur de paix. Et Macron, obsédé lui aussi par sa propre image, qui ne rêve que de s’asseoir à la table des négociations, en sera donc pour ses frais. Avec pour lot de consolation quelques images de ses échanges de l’après-midi avec Zelensky dans les superbes jardins de la Villa Bonaparte, résidence de notre ambassadeur auprès du Saint-Siège.
Cette diplomatie de la télé-réalité, du Bureau ovale à Saint-Pierre, doit faire bondir dans leurs tombes Talleyrand et Metternich, sans parler de de Gaulle et Kissinger…
Et pour quels résultats ?
Ici, le miroir de nos Narcisses vire au brouillard des eaux troubles. Après cent jours au pouvoir, Trump paie le chaos qu’il a lui-même provoqué par une chute massive dans les sondages ; sa guerre commerciale tous azimuts inquiète les marchés et la Fed, le contraignant à repousser les augmentations de ses droits de douane – sauf, pour l’instant, à l’encontre de la Chine. Ses visées impériales sur le Canada, le Panama et le Groenland ressuscitent l’image de l’« Ugly American ». Et surtout, Trump n’a obtenu aucun succès en politique étrangère. Pire : il donne l’impression de s’engluer à Gaza, de reculer en Iran et d’avoir tout cédé à Poutine sur l’Ukraine, en échange de rien, si ce n’est de vagues « trêves » temporaires émaillées de frappes brutales contre les civils ukrainiens.
Dans l’avion du retour, Trump lui-même reconnaît que Poutine « le balade » et qu’il faudra « le gérer différemment ». Mais comment ?
Macron annonce déjà qu’il a convaincu Trump de « durcir » la relation avec Moscou, façon de montrer qu’il est au centre du jeu, à la tête de sa « coalition de volontaires européens ». Sauf que l’Europe n’est ni unie, ni capable de remplacer l’aide militaire – et surtout le renseignement – américains accordés à l’Ukraine.
Poutine le sait, comme il sait que d’éventuelles sanctions américaines supplémentaires n’auront guère d’impact sur son économie désormais tournée vers la guerre.
Reste l’option d’un réengagement de l’Amérique dans la guerre, avec l’annonce d’un nouveau paquet d’aide militaire à hauteur de 60 milliards de dollars, comme le précédent, sous Biden. Mais il est douteux que Trump, qui n’a cessé de dénoncer cette guerre comme étant celle d’Obama et de « Joe l’endormi », replonge l’Amérique dans une guerre qu’il veut terminer au plus tôt.
D’où le plan américain pour un cessez-le-feu au prix d’une reconnaissance de jure de la Crimée comme faisant partie de la Russie, et d’une reconnaissance de facto, cette fois, de l’occupation d’une partie du Donbass. Un plan dont Zelensky, soutenu par Macron et Starmer, ne veut pas, et que Poutine juge insuffisant…
Si rien ne bouge dans les prochaines semaines, Narcisse lassé est parfaitement capable de se désintéresser brutalement du problème, le laissant à la charge des Européens. Trump s’en tirera, comme à son habitude, avec sa vérité à lui : « Il aura tout essayé, mais que faire si les belligérants veulent continuer à se battre ? »…
Un scénario cauchemar pour les Européens, qui ne sont nullement prêts, quoi qu’en disent Macron, Starmer ou Von der Leyen, à remplacer leur protecteur d’hier… Il leur restera à essayer de distinguer, dans le brouillard, les intentions de Narcisse.
Tribune VA – 30/4/25