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Israël-Iran : la guerre, jusqu’où ?

Israël-Iran : la guerre, jusqu’où ?

L’option était discutée depuis des années en Israël, depuis trois décennies au moins : détruire par la force aérienne toutes les installations nucléaires iraniennes. Soit par Israël seul, soit avec l’aide des États-Unis. Israël, dont l’essentiel de la population est concentré sur une étroite bande de terre, l’équivalent d’un ou deux départements français, ne pourrait pas vivre avec la menace permanente de son éradication par une seule bombe nucléaire larguée par un régime islamique obsédé par la disparition des Juifs de la région.

La décision d’attaquer dans la nuit de jeudi à vendredi dernier a donc finalement été prise par Benjamin Netanyahu seul, en raison de quatre facteurs :

  • L’état d’avancement du programme iranien, tel que constaté quelques jours auparavant par l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA), qui estime à plus de 400 kg la quantité d’uranium enrichi à 60 % déjà produite en Iran dans les deux usines d’enrichissement connues de Fordow* et de Natanz. Cette quantité pourrait permettre la fabrication d’une dizaine d’armes nucléaires de puissance équivalente à celle d’Hiroshima (15 kilotonnes). Des quantités de matières fissiles en violation du Traité de non-prolifération signé par l’Iran et hors de proportion avec le programme électronucléaire iranien, puisque l’unique centrale nucléaire de Boushir, construite par la Russie, n’utilise que de l’uranium enrichi à 3 %.
  • L’affaiblissement de l’Iran, « victime » collatérale du monstre qu’il avait lui-même engendré et armé depuis des années : le Hamas des frères Sinouar. Le choc du pogrome du 7 octobre a convaincu Israël de détruire méthodiquement les tentacules de la « pieuvre iranienne » dans la région : le Hamas, le Hezbollah, les Houthis du Yémen, entraînant ainsi la chute du régime pro-iranien d’El-Assad en Syrie. À cette perte de son « axe de la résistance » chiite s’ajoutait pour l’Iran la destruction de l’essentiel de sa défense antiaérienne lors des bombardements israéliens d’octobre 2024. Le ciel iranien était désormais grand ouvert.
  • Le troisième facteur est que Netanyahu venait d’être conforté par le maintien de sa majorité lors d’un vote récent à la Knesset. La voie était donc libre pour une action contre l’Iran, avec l’avantage supplémentaire de détourner l’attention internationale de Gaza vers ce nouveau front.
  • Enfin, l’attitude ambiguë de l’administration Trump, qui, bien qu’attachée à la défense d’Israël, rechigne désormais à s’engager dans tout conflit armé. Trump préfère régler la question nucléaire par la négociation plutôt que par les armes. Une session de négociations était d’ailleurs prévue à Mascate, Oman, le dimanche 15 juin, 48 heures après la frappe israélienne. Netanyahu, en informant Trump (et lui seul), a donc mis le président américain devant le fait accompli, empêchant toute conclusion rapide d’un accord qui aurait permis aux Iraniens de conserver leur programme d’enrichissement. L’effet de surprise fut total : de nombreux responsables iraniens furent tués durant cette attaque inattendue.

La guerre est donc déclarée, caractérisée par des échanges quotidiens extrêmement violents, frappes aériennes israéliennes d’un côté et ripostes iraniennes par missiles balistiques et drones de l’autre. Jusqu’où ira ce conflit ? Peut-il embraser toute la région voire au-delà ?

Clausewitz disait : « L’objectif politique est le but, la guerre le moyen ; un moyen sans but ne se conçoit pas ». Si l’objectif israélien est de détruire totalement les installations nucléaires iraniennes, ce but risque fort de ne pas être atteint lors de ce conflit, en dépit du brio initial des opérations israéliennes. Les Iraniens ont tiré les leçons du passé, enterrant profondément leurs sites les plus sensibles. Israël ne dispose pas d’armes suffisamment puissantes pour pénétrer ces installations enfouies, contrairement aux Américains, détenteurs d’une bombe anti-bunker de 15 tonnes, mais dont Trump a exclu toute implication directe.

Une autre ambition pourrait être le changement de régime en Iran, appelant à un soulèvement populaire. Cependant, la solidité du régime des mollahs et l’absence d’opposition organisée rendent cette option peu réaliste.

L’escalade semble donc l’issue la plus probable, avec recours au terrorisme et blocage du détroit d’Ormuz, perturbant gravement l’économie mondiale. Israël continuera ses frappes, tandis que l’Iran intensifiera ses attaques contre les civils israéliens. Israël, isolé diplomatiquement et militairement, dépendra rapidement du soutien américain en termes de matériel militaire. Toutefois, l’administration Trump cherche à éviter toute implication directe, sauf attaque contre ses propres forces.

En somme, impasse ou escalade, l’avenir de cette guerre dépendra des résultats militaires immédiats des frappes actuellement en cours.

 

*Note : 

Le site nucléaire de Fordow, situé près de Qom en Iran, est au cœur des tensions actuelles entre Israël et l'Iran. Conçu pour résister aux frappes aériennes, ce site est enfoui sous environ 80 à 110 mètres de roche, ce qui le rend extrêmement difficile à détruire avec des armements conventionnels. Israël a récemment intensifié ses opérations aériennes contre les installations nucléaires iraniennes, mais Fordow demeure intact en raison de sa fortification exceptionnelle.

Le seul armement connu capable de pénétrer une telle profondeur est la bombe américaine GBU-57A/B Massive Ordnance Penetrator (MOP), pesant environ 13,6 tonnes. Cette bombe est conçue pour être larguée par des bombardiers furtifs B-2 Spirit, seuls avions capables de transporter une telle charge. Actuellement, seuls les États-Unis possèdent cette capacité, ce qui signifie qu'une opération visant à détruire Fordow nécessiterait leur implication directe.

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