Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Deux divorces et un enterrement

Deux divorces et un enterrement

Entre la conversation téléphonique Trump-Poutine du 12 février et le début des négociations à Riyad entre les délégations américaine et russe le 18 février, six jours exactement se seront écoulés…

Mais ce n’est pas tout.

Car, dans l’intervalle du week-end, les Européens auront eu à subir un deuxième divorce, peut-être plus grave encore, car idéologique cette fois. À Munich, le vice-président J.D. Vance a donné une véritable leçon de démocratie aux Européens, les accusant d’avoir, au nom d’un progressisme « woke », sacrifié la liberté d’expression de leurs citoyens et ignoré les préoccupations des plus modestes au profit d’élites arrogantes, déterminées à rester au pouvoir en érigeant des « cordons sanitaires » ou en annulant des élections, comme en Roumanie, lorsque les résultats leur apparaissaient inacceptables. « Ingérence inacceptable », a-t-on réagi à Berlin ou à Paris, mais pas à Rome ni à Budapest…

Les conséquences de ce double divorce sont vertigineuses.

La première est de mettre les dirigeants européens face à leurs erreurs successives en Ukraine. Entrés dans cette guerre par procuration contre la Russie sous le coup de l’émotion et d’une indignation certes compréhensibles, ils se sont contentés de suivre Biden, alors même qu’il était évident depuis l’échec de « la grande offensive » ukrainienne de juin 2023 que Kiev ne parviendrait pas à récupérer ses territoires perdus par la force. Pendant ce temps, l’aide américaine devenait de plus en plus contestée aux États-Unis, au point d’avoir été interrompue six mois durant l’an dernier sous la pression de Trump et de ses élus républicains. Le pire étant que, depuis trois ans que dure cette guerre, les Européens, tout en proclamant à l’envi leur intention de réarmer, de passer à « une économie de guerre », de bâtir une « Europe de la défense » ou encore une « Europe stratégiquement autonome », n’ont rigoureusement rien fait de tout cela – sauf en Pologne. L’Europe paie aujourd’hui au prix fort trente années de désarmement budgétaire : ses arsenaux sont vides et les États-Unis assurent encore 70 % des dépenses militaires de l’OTAN…

La seconde conséquence est que l’Amérique a viré de bord à 180 degrés.

Trump considère l’Ukraine, et non la Russie, comme responsable de la guerre, et les Européens comme coresponsables : « Ils se plaignent, dit-il, de ne pas avoir un siège à la table des négociations, mais ce siège, ils l’ont eu pendant trois ans ! » Exit l’affrontement d’hier avec la Russie, bienvenue à un « deal » planétaire russo-américain sans les Européens, réduits au mieux au rôle de figurants…

En panique, les dirigeants somnambules d’Europe se sont réunis à l’Élysée lundi. Questions : comment convaincre Washington de leur laisser au moins un strapontin à la table des négociations ? Faut-il, pour cela, s’engager militairement en Ukraine après un éventuel armistice ? Aux abois, Zelensky, qui a perdu son protecteur américain et tout espoir d’entrer dans l’OTAN, se tourne désormais vers ses sauveurs européens, à qui il réclame une armée de 200 000 hommes. Mais, outre que cette armée n’existe pas, les Américains ont fait savoir qu’un éventuel engagement européen en Ukraine se ferait « hors article 5 de l’OTAN », c’est-à-dire sans leur soutien. Pour compliquer davantage la situation, les Russes s’y opposent également…

Résultat : la montagne élyséenne n’a même pas accouché d’une souris. Une fois encore, les Européens ont étalé leurs divisions : Français et Britanniques sont, en principe, favorables à une telle option, les autres non.

Avec ces divorces de proportion historique se profile la perspective d’un enterrement de l’OTAN. Le risque principal est que les dirigeants somnambules européens, loin d’admettre qu’ils se sont trompés, persistent dans le déni de réalité et que, comme d’habitude, ils ne fassent rien…

 

Pierre Lellouche

Tribune VA 18/2/25

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