Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
2 Mars 2025
Depuis 2003, je l’ai dit – mais pas seulement moi –, le chef d’état-major américain de l’époque, le chef du service du renseignement américain, Madame Haynes, à l’époque, disaient que l’Ukraine ne pouvait pas reconquérir militairement ses territoires. Donc, à l’époque, j’avais dit : plutôt que de continuer, essayons de trouver une voie de négociation. Personne ne m’a entendu. Naturellement, on a continué.
Bien. Aujourd’hui, on en est – tenez-vous bien – à un million de victimes, entre les tués et les blessés des deux côtés. C’est énorme. C’est une guerre de très haute intensité, dans un continent où il y a plein d’armes nucléaires.
Alors, il y a ceux qui veulent continuer. Moi, je leur dis : OK, mais c’est quoi votre objectif politique ? Après la guerre, il y a quelque chose. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Il faut reprendre les territoires ?
Aujourd’hui, l’Ukraine a fondu. Arnaud vient de le dire. L’Ukraine a fondu. Elle avait 52 millions d’habitants en 1991, au moment de son indépendance. Elle est tombée à 30 millions. Dix millions sont partis à cause de la corruption des dix premières années. Le pays était par terre, alors que la Pologne s’est relevée. L’Ukraine, non. Et huit ou dix millions sont partis depuis le début de la guerre. Donc, on en est à 30 millions contre 145.
La guerre d’attrition actuelle, la guerre d’usure actuelle, ressemble à la Première Guerre mondiale, celle que les Allemands nous ont infligée à l’époque, qui avait tué alors 1,5 million de Français, plus 5 millions de blessés.
Les gens qui disent qu’il faut continuer – les Glucksmann et autres –, je leur demande : c’est bien de faire la guerre jusqu’au dernier Ukrainien, mais est-ce que c’est sérieux ? Est-ce que c’est ça qu’il faut faire ?
Après, ils vous disent : « Ah oui, mais vous n’avez pas compris, on le fait parce qu’ils vous défendent, vous. » C’est ce qu’a dit aussi le président de la République : « Ils nous défendent, nous. »
Mais attendez, moi, je veux bien tout, mais si l’armée russe – qu’on dit là formidablement puissante – en est toujours à grappiller quelques kilomètres trois ans après… Je ne comprends pas comment elle peut être à Berlin, à Paris ou en Pologne demain matin.
Il faut choisir. Soit on pense que la Russie est absolument sur le point de conquérir l’Europe et, dans ce cas-là, il faut m’expliquer pourquoi elle patine devant l’Ukraine. Il faut m’expliquer. Soit on pense que c’est un argument de style.
Mais je crois que le moment est venu d’aller vers un cessez-le-feu qui préparera la paix. Toute l’affaire, c’est de savoir comment on organise la paix.
Les Ukrainiens ont inscrit dans leur Constitution le fait qu’ils souhaitent entrer dans l’OTAN. Les Américains ont changé d’avis. L’OTAN ? Pas question.
À partir de là, les Ukrainiens se tournent vers les Européens en leur disant : « Donnez-nous une armée de 200 000 hommes. » Mais on n’a pas une armée de 200 000 hommes. Au maximum, aujourd’hui, la France et le Royaume-Uni, c’est 30 000 à 40 000 hommes qu’on peut mettre en Ukraine. Vous mettez 40 000 hommes le long d’une frontière de 1 000 kilomètres, où il y a un million de soldats des deux côtés… Vous pensez faire quoi ?
Surtout s’il n’y a pas de protection américaine, ni aérienne, ni anti-aérienne. Et si Trump vous dit : « Non, je ne protégerai pas le contingent franco-britannique » ?
Après, c’est la décision du président de la République. Mais, à minima, je voudrais qu’on se pose quelques questions :
Parce qu’il y a des Ukrainiens qui n’accepteront jamais de perdre une partie de leur territoire. Il y a des Russes aussi.
Et donc, qu’est-ce qui risque de se passer ? Que la guerre s’envenime à nouveau et qu’on soit coincés au milieu.
Si on avait des réserves… Mais là, on n’en a pas. Il va falloir cinq ou dix ans avant de reconstruire nos unités, nos usines, etc.
Après, il y a ceux qui disent qu’il faut engager une protection nucléaire de l’Europe. Moi, je veux bien. Mais comment on fait ? Et qui appuie sur le bouton ? Quelle est l’autorité politique qui répond à ces propos ?
Donc, j’entends tous ces discours, mais je suis franchement très inquiet, parce que ceux-là mêmes qui nous ont amenés à cette situation épouvantable où nous sommes maintenant sont supposés nous en sortir.
Et j’ai quelques doutes, vous comprenez, sur leur sagesse.
Vidéo de l'intervention. 1er mars 2025