Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Vous avez dit « L’OTAN en état de mort cérébrale » ?

 

Il fut un temps pas si lointain mais désormais oublié, où l’arrivée d’un président américain, un certain Donald Trump, lors d’un sommet de l’OTAN suscitait, j’en ai été le témoin direct, parmi les délégations européennes présentes, un mélange palpable de panique et de consternation. Accusés de n’être que les « passagers clandestins », les « profiteurs » d’une alliance « obsolète », financée à 80 % par le contribuable américain, menacés de voir le fameux article 5 de la Charte atlantique jeté aux poubelles de l’histoire, quand le même Trump ne proposait pas de transformer l'OTAN en NATOME, « un magnifique nom, n’est-ce pas ? », pour y inclure tout le Moyen-Orient (ME pour Middle East), les meilleurs élèves de la classe Atlantique ne savaient plus à quel saint se vouer. Et si, comme on le murmurait de plus en plus, Trump finissait par se retirer purement et simplement de l’OTAN, tout à son amitié nouvelle avec Vladimir Poutine ?

L’Ukraine, en ce temps-là, mais on l’a oublié aussi, servait surtout de monnaie d’échange pour Trump, qui, voulant se débarrasser de son rival Joe Biden, avait exigé du président ukrainien Zelensky qu’il ouvre une enquête pénale contre Hunter Biden, le fils de Joe Biden, soupçonné de malversations diverses dans des contrats gaziers avec l’Ukraine et la Russie, le tout en échange de la livraison des fameux missiles Javelin à l’armée ukrainienne...

C’était aussi l’époque (novembre 2021), où un certain Emmanuel Macron annonçait fièrement que nous étions en train de vivre « la mort cérébrale de l’OTAN » et qu’il était donc temps pour les Européens de construire leur propre « souveraineté européenne », y compris en matière de défense commune…

Mais tout cela, c'était avant le 24 février.

Depuis, Poutine, tel l’arroseur arrosé, a littéralement ressuscité l’OTAN. Lui qui voulait bloquer l’adhésion de l’Ukraine au pacte atlantique a redonné vie à la vieille alliance de 1949, jusqu’à susciter l’adhésion expresse de deux grands pays scandinaves : la Suède et la Finlande. En huit jours montre en main, la Suède a enterré deux siècles de neutralité, et la Finlande un passé très compliqué avec son voisin russe : jeudi dernier, le parlement finlandais adoptait par 188 voix contre 8, le projet d’adhésion à l’OTAN (l’opinion publique était passée de 20 à 80 % en faveur de l’alliance entre le début de l’invasion russe et le vote du parlement finlandais). Le dimanche suivant, la Suède annonçait qu’elle aussi signait sa demande d’adhésion formelle (là encore, la proportion de la population suédoise favorable à l’adhésion était passée de 48 % fin avril à 57 % à la mi-mai). Et jeudi 19 mai, huit jours après donc, Joe Biden recevait officiellement les deux impétrants, le président Niinistö et la première ministre Andersson, à la Maison-Blanche pour mettre en place une adhésion en mode accéléré à l’alliance.

Cette double adhésion aura bien sûr un impact sur le plan militaire, en allongeant de 1300 km la frontière directe entre la Russie et l’OTAN, le tout à proximité immédiate de la base navale stratégique russe de Mourmansk, qui contrôle l’accès à l’Atlantique Nord pour les sous-marins nucléaires de Poutine.

Mais l’essentiel est ailleurs : moins dans l’OTAN, que dans l’Union européenne qui va changer profondément. Désormais, c’est toute l’Union, sauf 4 de ses membres : l’Autriche, l'Irlande, Malte et Chypre, qui se trouvera pleinement intégrée dans l’Alliance atlantique. Inévitablement, son centre de gravité politique va donc basculer vers l’Est et la Scandinavie, c’est-à-dire en fait vers l’Amérique, puisque tous ces pays ont en commun de vénérer l’Amérique, comme leur unique planche de salut quant à leur survie.

Longtemps, la stratégie de l’Union européenne a été dictée par le couple franco-allemand et les « petits » États, comme disait Jacques Chirac, « perdaient une occasion de se taire » lorsqu’ils tentaient de se mêler de choses sérieuses, c’est-à-dire de géopolitique.

Aujourd’hui, la guerre en Ukraine a tout changé : c’est l’Europe de la Pologne, des Baltes, de la Slovaquie et désormais des Scandinaves, qui fixe directement avec Washington et Zelensky les buts de guerre. Et ce sont les Français et les Allemands qui sont désormais ouvertement critiqués, voire priés de se taire. « Les Baltes ont longtemps été favorables aux Allemands », dit le ministre de la défense de Lituanie, « mais aujourd’hui notre confiance en l’Allemagne est égale à zéro ». Pour preuve, Scholz n’a-t-il pas été vaincu lors des récentes élections régionales, pour avoir été trop timide dans l’aide accordée à l’Ukraine ?

Macron lui-même en prend pour son grade, pour avoir tenté de maintenir un canal diplomatique avec Moscou : « Ceux qui appellent de leurs vœux un cessez-le-feu ou un compromis, l’auraient-ils fait avec Hitler ? Poutine doit perdre, il n’y a pas d’autres possibilités », indique le représentant letton à Bruxelles. « On doit aider l’Ukraine à gagner cette guerre. Et personne ne doit forcer Zelensky à renoncer à une partie de son territoire ». Et la ministre des Affaires étrangères lettone, Edgars Rinkēvičs, d’enfoncer le clou : « Vladimir Poutine est un criminel de guerre. Je ne vois aucune raison de lui parler. On ne doit pas lui proposer de porte de sortie : Poutine ne doit pas gagner cette guerre ».

D’où ce dilemme supplémentaire pour Macron au début de son deuxième mandat : comment faire en sorte que la France soit encore audible, y compris en Europe même, alors que la guerre est désormais pilotée par l’Amérique seule, et qu’elle est relayée par une Europe de l’Est et du Nord comme soulagée d’être enfin entendue, que l’Allemagne est inexistante et que l’Angleterre du Brexit, trouve ici une occasion supplémentaire, après l’AUKUS, d’isoler la France ?

Réinventer une politique étrangère pour la France, face au poids écrasant de l’Amérique sur le Continent, conserver son influence en Afrique alors que les Russes l’ont expulsée du Mali, et qu’elle n’est plus guère audible au Moyen-Orient, ne sera pas le moindre des défis du président réélu. Vous avez dit « mort cérébrale » ?

 

Pierre Lellouche

29 mai 2022

Marianne

https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/vous-avez-dit-lotan-en-etat-de-mort-cerebrale

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